PAYSANS (GUERRE DES)

PAYSANS (GUERRE DES)
PAYSANS (GUERRE DES)

La guerre des Paysans apparaît comme un des événements les plus dramatiques du premier quart du XVIe siècle. Cette grande tentative avortée d’affranchissement de la paysannerie, qui a ébranlé, outre l’Allemagne du Sud et du Centre, une partie de la Lorraine et l’Alsace, suscite des controverses passionnées quant à ses origines, l’interprétation de sa nature exacte, ses conséquences.

1. Les origines

Les origines de la guerre des Paysans sont doubles: d’une part les tensions sociales de la fin du XVe siècle, de l’autre la fermentation des esprits. Tensions sociales accentuées par la poussée démographique, la remontée des prix, le nouveau style de vie qui s’installe et tend à cristalliser l’opposition des classes, paysannerie et petite noblesse face au patriciat urbain, au clergé et aux princes.

Sur la situation réelle de la paysannerie, deux thèses s’affrontent. Pour les uns, il s’agit d’une révolution de la misère. Écrasée par les dettes, les redevances, les corvées, l’émiettement croissant des biens, les attaques contre les communaux, la cherté de la vie, la classe paysanne se révolte en mouvements spasmodiques d’abord, généralisés ensuite après l’explosion luthérienne. Favorisée par le nombre croissant des errants – souvent anciens soldats –, la révolte trouve des alliés et des chefs dans la petite noblesse, classe des chevaliers, atteinte par les progrès du capitalisme urbain, la montée des monopoles, les nouvelles techniques de guerre, ainsi que l’interdiction des guerres privées.

Une seconde école interprète l’événement comme la «prise de conscience» liée à la fermentation des esprits. Les paysans se soulèvent, non parce qu’ils sont dans la misère, mais par suite du hiatus existant entre leur situation économique – relativement prospère – et leur condition sociale, juridique et morale: moins le niveau de vie que le «style de vie» accusé par les «nouveautés» apportées par l’humanisme, la Renaissance et la Réforme. Nouveautés, symboles d’un nouvel univers dans lequel le paysan ne pénètre pas; par la réception généralisée du droit romain, se développent l’usage du droit écrit, de nouvelles formes de prêt à intérêt, le rôle des «fonctionnaires» seigneuriaux et municipaux, et s’accuse le mépris à l’égard du paysan.

On distingue deux étapes dans le déroulement du conflit: un combat «pour la vieille coutume» (qui s’exprime par certaines références à un prétendu projet de constitution de l’empereur d’Allemagne Sigismond repris par Frédéric III); ensuite, et en rapport avec les nouveautés religieuses, la diffusion des libelles et caricatures multipliés par l’imprimerie, l’attaque contre les autorités romaines menée par Luther, un combat pour l’égalité des hommes devant Dieu et entre eux, au sein d’une société nouvelle, prenant appui sur le seul Évangile.

2. Une explosion de révoltes

La guerre présente une foule d’épisodes simultanés mais sans liens positifs ou apparents, dont l’analyse est rendue difficile par suite de l’indigence des sources non engagées, de la partialité des historiens, de l’attraction opérée par certains chefs, apôtres et martyrs, de la diversité régionale enfin.

Multipliés après 1480, les signes précurseurs sont symbolisés par un nom, le Bundschuh (soulier à lacets du paysan, par opposition à la botte du noble). En 1476, Jean de Niklashausen annonce, au nom de Notre-Dame, la suppression des autorités cléricales ou séculières; en 1493, conduit par un bourgmestre de Sélestat, Ulmann, éclate en Alsace le premier Bundschuh , vite réprimé; suivent en 1502 ceux de Bruchsal, en 1513 de Lehen dans le Brisgau, le «mouvement du pauvre Konrad» dans le Wurtemberg, en même temps que s’agitent les paysans de Rouffach; en 1517, ayant à sa tête Joss Fritz, le mouvement intéresse les deux côtés du Rhin. La même année, Luther lance à Wittemberg ses quatre-vingt-quinze thèses sur les indulgences et déclenche un processus irréversible; à Zwickau en Saxe, Thomas Münzer en 1520 réunit autour de lui compagnons drapiers, mineurs et laboureurs, reprend le rêve millénariste de Joachim de Flore, retrouve à Prague l’enseignement de Jean Huss (Jan Hus) et s’installe à Allstedt. En 1522, les chevaliers Franz de Sickingen et Ulrich de Hutten sont écrasés. Toute l’Allemagne est en effervescence: devant l’alliance du jeune Charles Quint, élu en 1519, avec le pape et les Fugger, se sont évanouis les espoirs d’une réforme venant d’en haut.

Les premières victoires sont suivies de répressions princières. En Forêt-Noire et en Souabe, le mécanisme est exemplaire. Un incident initial, la cueillette des fraises ordonnée par la comtesse de Lupgen, conduit à l’élection d’un chef, Hans Muller, ancien soldat, à l’apparition du drapeau noir, rouge et jaune, et du programme: les douze articles. Le contact est pris avec Waldshut, où domine le prédicant Hübmaier, et avec le duc Ulrich de Wurtemberg, dépossédé de ses États. Entre bourgeois et «rustauds» se crée un conseil évangélique. Fribourg est pris, le soulèvement gagne l’ensemble de la Souabe, les environs d’Ulm. Faisant alterner répression et négociation, Georg von Waldburg, dit Truchsess, apaise la révolte, qui prend fin par le traité de Weingarten (avr. 1525).

En Franconie et dans la vallée du Neckar, les paysans des environs de Nordlingen, du margraviat d’Amspach et du diocèse de Bamberg donnent le signal de la révolte. À Rothenburg, l’insurrection éclate à l’appel du réformateur Andreas Bodenstein dit Karlstadt. Les révolutions municipales enlèvent le pouvoir aux anciens conseils; les nouveaux magistrats donnent la main aux rustauds. À Weinsberg a lieu un massacre horrible. Le margrave Casimir fait alors appel à Truchsess, qui bat le chevalier Florian Geyer (9 juin) et pénètre dans Wurtzbourg et Bamberg.

En Wurtemberg, où fermente le levain de la révolte du «pauvre Konrad», la troupe de Gaildorf, lequel s’empare de Lorch et du château de Hohenstaufen, rejoint la troupe de l’aubergiste Feuerbacher et négocie avec Ulrich. À Boeblingen et à Sindelfingen, Truchsess est victorieux. Goetz von Berlichingen, chef des rustauds, se rallie; les agitateurs Hipler et Metzler sont défaits à Koenigshoffen.

En Hesse, Thuringe et Saxe, la révolte éclate à l’appel de Thomas Münzer; celui-ci fait de Mulhausen (en Thuringe) le centre de la révolte qui rayonne sur la Saxe occidentale, l’Eichsfeld, le Harz et la Franconie. Il a rompu avec Luther, avec les princes de Saxe. À Frankenhausen (15 mai 1525), son armée est détruite par celle des princes.

Dans l’archevêché de Salzbourg et les États héréditaires d’Autriche, on retrouve les mêmes griefs religieux et sociaux à l’encontre de l’archevêque Mathaeus Lang. Le Vorarlberg et le Tyrol se soulèvent à la voix de Michel Geismayer, secrétaire de l’évêque de Brixen. La ligue de Souabe intervient. Battu, Geismayer s’enfuit à Venise.

C’est en Alsace qu’est le mieux réalisée l’unité relative du commandement avec Erasme Gerber, tanneur de Molsheim, nommé capitaine général des bandes. Strasbourg devenue luthérienne ne se rallie pas au mouvement, qui conquiert les petites villes. Le duc de Lorraine écrase les paysans à Saverne et à Scherviller. L’électeur palatin rétablit l’ordre dans ses États.

3. Causes et conséquences de l’échec paysan

Mystique, politique, réalités économiques, sociales et militaires se mêlent étroitement au sein du mouvement.

Dès le 15 mars 1525, dans les «douze articles», les paysans de Souabe réunis à Memmigen demandent le droit de choisir leur curé et de ne payer que la dîme légitime, l’affranchissement du servage, la liberté de la chasse et de la pêche, celle des bois, la limitation des corvées, un salaire convenable, des cens modérés, des communaux préservés, l’abolition du mortuaire et une vie conforme à l’Évangile. En avril, Luther adjure la noblesse et les paysans de renoncer à la violence. En vain! Le programme de Münzer développe une révolution radicale: communauté des biens, obligation de travail pour tous, suppression de toute autorité. À Heilbronn, capitale des insurgés, Hipler développe une sorte de constitution allemande. Devant les destructions qui se succèdent et la menace de révolution sociale, Luther lance sa brochure Contre les bandes pillardes et assassines des paysans , qui justifie à l’avance les atrocités de la répression.

Les paysans ont pour eux la masse, l’effet de surprise, la mobilité, la connaissance du terrain. Leur armement et leurs chefs ne sont pas inférieurs à ceux des seigneurs, même en ce qui concerne l’artillerie. Leur défaite est due à la valeur de leurs adversaires (Truchsess), à l’ivresse des premiers succès, à la défiance réciproque entre les chefs et les troupes, à la défection de leurs alliés d’un moment, nobles ou villes, et enfin au manque de cohésion de l’ensemble face aux troupes mercenaires, lansquenets à la solde des princes rentrés d’Italie. La répression, individuelle ou collective, fut atroce.

Parmi les conséquences de l’échec paysan, les unes sont immédiates: mortalité considérable difficile à chiffrer, destructions de couvents, de châteaux forts, de fermes et de villages; les autres sont plus lointaines: maintien du régime juridique et économique médiéval, affaiblissement du clergé sauf dans les régions préservées comme la catholique Bavière, disparition de la petite noblesse et renforcement dans les villes du régime patricien partout rétabli, montée du pouvoir des princes. Ces derniers apparaissent comme les véritables vainqueurs de cette lamentable tragédie qui marqua pour des siècles la conscience allemande.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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